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Le blanc, le pêcheur et le serpent Python
C'est la fin de la 3ème journée que nous passons à Njagabaar.
J'entends qu'on m'appelle, un des pêcheurs du village arrive à ma rencontre en courant. Il ne parle pas bien français mais il a réussi à se faire comprendre auprès de Valérie. En compagnie des femmes de Diadiaam3 qui font la vaisselle au petit marigot pendant que de mon coté je tentais de localiser les coassements d’un batracien dans les roseaux, elle a compris qu'il voulait me montrer quelque chose d’important, et elle lui a indiqué la direction du grand marigot ou je me trouvais.
Au village les nouvelles vont vite, et on sait que je suis interessé par les reptiles, les serpents du Djoudj. J'ai fait comprendre aux enfants de Diadiam3, spectateurs assidus et curieux de mes prospections, de ne surtout pas m’en chercher ; c’es trop trop dangereux, s’ils tombent sur une vipère heurtante ou un cobra, même si je sais qu’ils en ont peur, ils sont capables de partir en repérage et de jouer au premier qui viendra me dire fièrement qu’il en a trouvé. Mais visiblement, l'info est passée dans Didiam3, et je me retrouve à suivre ce pêcheur qui tente de m'expliquer qu'il a un énorme python coincé depuis deux jours dans son filet qu'il jette pour capturer les petits poissons.
D'après ce qu'il me dit par de grands gestes, le python est toujours vivant mais a détruit son filet dans lequel il s'est entortillé. Son filet perdu, il pensait probablement laisser les choses en l'état au fond du marigot, le python mourrant alors de sa belle mort. Mais il est fier de me le montrer.
Arrivés au bord de l'étang, il s'y enfonce sans hésiter, et disparait derrière les roseaux.
Nous attendons au bord de la piste. Un quart d’heure passe. Nous voyons les roseaux bouger dans tous les sens et espérons qu’il n’a pas de problème .Il se débat avec son filet et connaissant la peur qu’inspire les serpents aux villageois.
J’ai des scrupules à ne pas lui avoir dit de laisser tomber. D’autant que je ne sais pas comment il va falloir gérer la chose ensuite. Vu que le python est vivant, mon objectif est bien sûr de le libérer s’il n’est pas trop blessé mais les inconnues sont nombreuses…
Enfin soulagés, nous le voyons revenir, tirant son filet déchiré, derrière lui, le python forme un grosse boule empêtrée dans les mailles qui roule sous la surface, dans les derniers reflets du soleil qui va bientôt sombrer dans le fleuve Sénégal, tout proche.
Trainé par le filet que j’aide le pêcheur tirer, la tête python apparait de temps en temps hors de l’eau , tel un monstre du Loch Ness africain.
Le python atterri enfin sur la piste rouge de latérite , coincé dans un inextricable fatras de roseaux arrachés et de nylon. J’essaie de comprendre comment il est bloqué, de le dénouer de son piège, ou ses anneaux l’ont bloqué.
C’est un adulte de 3 mètres environ. Il ne siffle pas quand je manipule sa queue c’est bizarre, il a l’air assez affaibli. Par prudence avant d’aller plus loin, j’estime son agressivité en en lui présentant mon chapeau : bingo !! il attaque aussitôt et sa gueule grand ouverte, dont tout le palais est garni de centaines petites dents coupantes orientées vers son gosier, loupe de peu mon couvre-chef.
Je réitère l’opération l’appareil photo d’une main et l’appât-chapeau de l’autre et voila ce que l’on voit quand un python vous attaque juste avant le choc de la morsure dont l’impact est digne d’un direct de boxeur. Les mammifères de petite taille sont souvent assommés rien qu’avec la violence de l'attaque.
Bon signe, il est bien vivant, c’est déjà cela ! Si on parvient à le libérer de ses nœuds de nylon, il devrait s’en sortir.
Je m’empare du paquet pour l’étaler sur la piste et ce qui provoque un cri d’horreur du pêcheur qui en a une peur panique. Il recule d’une dizaine de mètres et rejoint Valérie à bonne distance. Ben je suis aidé moi !!! Je dois prendre les photos, dénouer le filet et échapper aux attaques du python tout seul.
Alors que je m'attelle à la tache une odeur suffocante de chair en décomposition me remplit le nez et les poumons, et je dois me laver les mains au marigot avant de continuer les opérations de libération. Des poissons en décompositions sont également accrochés aux mailles du filet.
Même si le python de Seba se nourrit de mammifères, les poissons entrent aussi dans son régime alimentaire et on le rencontre souvent près de l’eau. Adulte, il est capable de maitriser et d’avaler une gazelle mais cette image spectaculaire ne doit pas faire oublier qu’il se nourrit de proies beaucoup plus petites et plus facilement maitrisables la plupart du temps.
Comme tous les serpents il nage bien et est capable comme tous les pythons et les anacondas de chasser en apnée.
Les cadavres de poisson-chat en putréfaction qui empestent tant, me font penser que le python a dû vouloir se servir dans le garde manger facile que constituait le filet garni de poissons et il s’y est retrouvé piégé. Je retiens ma respiration pour ne pas respirer l’odeur, mais les attaques répétées du python me gênent pour dénouer ce fil de pêche infini efficacement. A chacune d’elle les cris d’effroi du pêcheur retentissent. Je parviens à le dégager presque entièrement.
Quelques villageois approchent.
J’ai besoin d’aide. Le python s’affaiblit. Le dernier nœud est le plus serré autour du premiers tiers avant du corps du python, et il faut que je maitrise le serpent, que je le tienne pendant que le pêcheur avec un couteau coupe les lacets de nylon qui le serrent fortement, avant qu’il ne ressemble de trop à une chaussure en peau de python. Je lui explique ce que j’attends de lui, qu’il aille chercher un couteau au village, et lui montre comment on maitrise un serpent de cette taille sans risque, le poing refermé derrière la tête autour de la nuque, le corps reposant autour du coup et sur l’autre bras pour ne
pas que tout son poids suspendu aux cervicales ne lui brise le dos. L’instant le plus délicat est d’attraper la nuque du serpent, après c’est bon, le danger est écarté. Avec une branche je lui montre comment bloquer la tête au sol et rapidement remplacer la branche par la main, afin qu’il soit rassuré sur la méthode.
Je lui explique que c’est moi qui le ferai et qu’il n’aura qu’à couper le filet ensuite. D’autres villageois attirés pas les cris, sont arrivés et regardent la scène à distance. Alors qu’il est sur le point de m’aider, d’accepter à l’idée que je vais libérer le serpent, je sens que quelque chose ne va pas…. Les autres villageois commencent à discuter entre eux et les discussions auxquelles je ne comprends rien sont de plus en plus animées. Un vieillard en boubou bleu vif, la barbe blanche, peut être le chef, arrive sur place et se mêle à la dizaine de villageois.
« Tu vas mourir, il va te tuer !!» c’est ce que je comprends en tout cas de ce qu’il me crie.
Je lui répond qu’il n’est pas dangereux, pas venimeux, que je sais faire, et lui montre qu’en faisant comme cela, on peut libérer le serpent.
Le vieillard continue à exprimer sa désapprobation, mais rapidement je comprends que ce n’est pas trop la peur de me voir prendre un risque qui le font m’invectiver de la sorte. Je comprends avec désappointement que je dois laisser le python au pêcheur. Que le pêcheur va le tuer.
Que le python est un ennemi de son vivant, mais qui peut rapporter une fois mort. Qu’il va sans doute en tanner la peau pour la vendre sur un marché à St Louis, et peut être en manger la chair pour améliorer le quotidien. L’assistance lui donne raison. Je regarde le pêcheur, son regard fuit le mien. Il s’est rallié à la cause de ses amis alors qu’il était sur le point de m’aider. C'est fichu, nous ne pouvons aller seuls à l'encontre des villageois, si seulement Cheikh étit là !!
Le serpent git à mes pieds, il remue légèrement, ses ondulations sont les dernières ; Sa vie ne tient plus quà un fil par rapport au contexte.